
l s’agit de l’un des disques dédiés au clavecin les plus enthousiasmants du moment. Je l’ai d’autant plus savouré qu’il est sorti à la fin mars 2020 en pleine crise sanitaire, une période qui semblait nous projeter dans un tableau de Bosch. Il y a peu, on nous parlait (on nous en parlera encore dans le monde d’après) de coloniser Mars, on nous vantait l’humain augmenté, et on évoquait le futur radieux de la mondialisation heureuse. Puis, un virus fuyant les forêts détruites par l’homme est venu migrer dans nos contrées, causant une onde de choc, et peut-être une prise de conscience. Nous verrons bien.
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Jérôme Bosch, vision de l’au-delà : l’enfer, Gallerie dell’Accademia di Venezia.
Le disque offre une sélection de transcriptions pour deux clavecins d’œuvres de Jean-Féry Rebel et Joseph Bodin de Boismortier. Il commence par une œuvre méconnue de Rebel, sa première et unique œuvre lyrique, Ulysse (1703), dont je ne connais qu’une interprétation par Hugo Reynes et la Simphonie du Marais (Musiques à la Chabotterie, 2008). Boudée par le public parisien, cette tragédie lyrique marquait les débuts d’un musicien talentueux, enfant prodige remarqué par Lully et un des Violons du roi (1705). Plusieurs danses extraites de la tragédie seront reprises dans des anthologies. Le disque nous en offre neuf transcrites pour deux clavecins, qui en font bien ressortir le côté virevoltant et joyeux, parfois un brin moralisateur sur un ton qui siérait bien au grand Couperin.
Le disque continue sur un prélude extrait des « caractères de la danse » (1715), une symphonie chorégraphique qui rencontra un vif succès, et des extraits des « Éléments », œuvre tardive de Rebel qui est probablement la plus jouée. Après un intermède consacré à Boismortier, le disque nous offre les Plaisirs champêtres (1734).
Joseph Bodin de Boismortier, qui fut de 20 ans son cadet, est connu pour une œuvre prolixe, mais de qualité inégale. La notice du cédérom suggère que ce musicien indépendant (c’est-à-dire qui pouvait vivre de ses œuvres sans le secours de quelque mécène) a su flairer le filon des œuvres pastorales en vogue à l’époque. Le disque nous offre treize transcriptions pour clavecins du ballet « Premier Ballet de Village » (1734) et une de ses œuvres lyrique « Daphnis et Chloé » (1747) qui connut un grand succès. Le choix est très judicieux, et clairement la continuité des œuvres entre Rebel et Boismortier transparaît.
Les deux interprètes sont de jeunes clavecinistes (Loris Barrucand et Clément Geoffroy), qui ont eu le privilège sur deux clavecins d’époque que l’on peut voir dans le cabinet de Madame Victoire, fille de Louis XV, au château de Versailles : un Ruckers de 1628 et un Blanchet de 1746. En dépit de la différence d’âge et de sonorité, je trouve qu’ils s’accordent bien, mais j’ai conscience que certains trouveront à redire à cette combinaison.
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Grand cabinet de Madame Victoire, Château de Versailles, avec les deux clavecins Ruckers et Blanchet.
Référence
Loris Barrucand et Clément Geoffroy : les caractères d’Ulysse, Château de Versailles Spectacles, 2020.